A Saint-Emilion, il suffit de gratter le sol pour voir le passé remonter à la surface. Le Château Haut-Corbin appartient à ces domaines qui ont écrit l’histoire tourmentée du Libournais. Au temps où les Anglais « vendangeaient » l’Aquitaine, la terre faisait partie d’un grand fief qui appartenait à Edouard Prince de Galles, le fils d’Edouard III d’Angleterre retenu par les historiens sous le nom de Prince Noir. Au fil des siècles, la terre a été partagée par les successions. Balloté par le vent des guerres et le départ des occupants anglo-saxons, le fief a éclaté donnant naissance à une série de domaines qui font sonner le nom de Corbin au nord de l’appellation Saint-Emilion. Malgré ce passé ancien, le château Haut-Corbin a vécu une histoire discrète, n’apparaissant que rarement dans les chroniques libournaises. Les traces écrites sont rares, et les témoignages oraux attisent les secrets qui entourent le domaine.
Seule ou presque, une mémoire récente rapporte le travail de restructuration entrepris par un propriétaire qui avait rénové le domaine dans les années 60. Si l’histoire était pauvre, la terre ne l’était pas. Le domaine avait été classé et le château Haut-Corbin avait accédé au rang de Grand Cru Classé de Saint-Emilion. Un classement qui ne devait rien au hasard. Situé à 600 mètres de vol de tourterelles des grands crus de Pomerol, le terroir ne manque d’arguments avec des vins qui font la transition entre les deux appellations, conjuguant la sève du Pomerol à l’élégance du Saint-Emilion. Aussi, en reprenant le vignoble en 1986, les Mutuelles du Bâtiment et des Travaux Publics, voulaient-elles rendre sa dignité à un domaine qui avançait de si belles promesses.
Loin du plateau du village de Saint-Emilion, le paysage des Corbin prend des airs de campagne. La vigne raye les collines aux formes lascives, délaissent les garennes humides souvent occupées par des ranges de peupliers. Dans cette campagne onduleuse, les terres du Château Haut-Corbin occupent une croupe voluptueuse de six hectares, une sorte d’épure idéale d’un vignoble qui prend des allures de jardin. Malgré cette apparente unité, les terres déclinent des natures de sols assez différentes. Tout en haut de la butte, marquée par la silhouette d’une vieille maison de pierre, des sables éoliens se sont déposés sur une assise argileuse pour donner une personnalité marquée au terroir du Château Haut-Corbin.
Des sables si fins qu’il est impossible d’imaginer que la vigne puisse y pousser. Malgré cette pauvreté et cette aridité apparente, la vigne dont les racines s’enfoncent profondément dans le sol, ne souffre jamais du manque d’eau, même durant les étés les plus chauds. Cela tient du miracle. En redescendant, la terre se fait plus lourde avec des argiles mélangées à des graves pour composer un ensemble éclectique qui se retrouvera dans la complexité des vins de Haut-Corbin.
Depuis l’arrivée du nouveau propriétaire, la culture a retrouvé les douces vertus de la tradition. Les désherbants ont été proscrits, des labourages réguliers et une taille plus rigoureuse ont redonné une nouvelle allure à la vigne. Aujourd’hui, les résultats sont manifestes, la terre apparaît plus naturelle, la vigne mieux équilibrée et le terroir peut délivrer toute sa personnalité.
La musique des terres de Haut-Corbin fait résonner le cépage merlot qui donne aux vins leurs arômes chatoyants et leur gourmandise. Avec près des deux tiers de l’encépagement, il signe le caractère soyeux du Haut-Corbin. Une bonne exposition et des sols suffisamment chauds permettent la maturité du cabernet-sauvignon qui entre pour 25% dans le grand vin en lui donnant sa structure et du cabernet-franc dont les 10% apportent de la finesse et du fruité.
Un des atouts du Château Haut-Corbin demeure l’âge de la vigne. Ayant échappé par miracle au redoutable gel de 1956, le vignoble affiche l’âge respectable de 45 à 50 ans, idéal pour produire les meilleurs vins possible.
Cette vieillesse limite naturellement les rendements mais il faut parfois tout de même aider la nature. En effet, quand celle-ci se montre trop généreuse, des « vendanges vertes » sont pratiquées ramenant la récolte autour de 50 hectolitres à l’hectare, un sacrifice opéré au nom de la qualité.
A la fin de l’été, la tension monte. La recherche de la maturité des raisins demeure le seul souci constant pour réussir le millésime. Une ambition qui passe par un effeuillage judicieux en juin et fin août pour que les raisins reçoivent idéalement le soleil. Les vendanges de 6 hectares de vignes de Haut-Corbin seront jouées en trois jours. Travail manuel au petit point avec un tri systématique qui permettra d’éliminer les grappes altérées ou insuffisamment mûres. En 2007 la construction d’un chai et d’un cuvier entièrement thermorégulés où une série de petites cuves bois de 100 hectolitres facilite la ventilation de la vendange. Leur petite taille permet en effet de jongler avec les parcelles et les cépages pour en conserver l’identité. Après la fermentation alcoolique, une longue et douce macération d’environ 30 jours, favorisera le passage des composés nobles du raisin dans le vin.
A la fin de la macération, une partie des vins est écoulée à chaud (à 28°) dans des barriques de chêne neuf pour l’accomplissement de la fermentation malolactique. Avec cette méthode, les vins semblent acquérir plus d’élégance et de complexité. Néanmoins, le bois neuf n’a jamais été la religion de Haut-Corbin. Il ne participe que de 55% dans l’élevage des vins du domaine, le reste passant dans des barriques d’un vin. Avec cette philosophie de l’élevage, le chêne neuf est abordé comme une nuance maîtrisée, il se présente comme une épice, qui ne doit pas modifier la nature profonde du vin. Lentement, au fur et à mesure des soutirages, les vins sont progressivement assemblés et après un séjour en fût de 12 à 14 mois selon le millésime, le Grand Vin du château Haut-Corbin est mis en bouteilles.